UNEA en action
Discours de Stéphane Foisy, Président de l'UNEA

Madame la Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.
Madame la Secrétaire d’Etat auprès de la Ministre des Affaires sociales et de la santé, chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion,
Mesdames et Messieurs les représentants des administrations, des entreprises et du secteur du handicap,
Mesdames, Messieurs,
C’est aujourd’hui un grand honneur d’être ici au ministère du Travail, parmi vous, pour la signature du contrat de développement responsable et performant du secteur adapté.
Qu’il est long le chemin parcouru depuis 1962 la création du premier atelier protégé par l’ANRH ici présente. Les associations de personnes handicapées sur les territoires ont emboité le pas. A l’époque, la situation économique était bien différente. La difficulté n’était pas de trouver du travail ; il y en avait, de surcroît du travail simple et répétitif. Mais ce qui était beaucoup plus dur, c’était de valoriser par le travail la personne handicapée, de la protéger, dans une société où la vision du handicap était très majoritairement celle de l’anormalité, du rejet ou de l’exploitation. Les associations, parce qu’elles étaient concernées, parce qu’elles connaissaient les personnes handicapées, ont apporté toutes la bienveillance et leur énergie à modifier profondément la vision de la société.
Les ateliers protégés se sont développés doucement mais sûrement, au travers d’un public qui n’était plus celui de l’ESAT mais pas encore celui du milieu ordinaire, au travers d’équilibre économique différent. C’est un modèle de plus en plus entrepreneurial qui est apparu. C’est ainsi qu’en 1987, il y a tout juste 30 ans des dirigeants d’ateliers protégés se sont réunis pour créer ce que l’on appelle aujourd’hui, l’UNEA.
Dès lors notre combat, le combat de mes prédécesseurs, a été de militer pour que la société, l’Etat, les entreprises « lambda », reconnaissent le travail des personnes handicapées dans les ateliers protégés à leur juste valeur c’est-à-dire à égalité. La loi du 11 février 2005 nous a apporté, dans ses principes, cette égalité. Très concrètement, Madame la Ministre, Madame la Secrétaire d’Etat, comme pour l’égalité Homme/Femme, et bien d’autres, il est toujours effarant, en retournant quelques années à peine en arrière, de constater des inégalités des plus choquantes. Le saviez-vous ? Il y a à peine plus de 10 ans, dans le code du travail, le salaire minimum d’une personne handicapée en atelier protégé était de 10% inférieur au SMIC !
La loi de 2005, dans ses principes, nous a apporté beaucoup. L’entreprise adaptée est désormais une entreprise ordinaire, une entreprise du marché concurrentiel. Elle parle d’égal à égal avec ses clients, avec ses fournisseurs. Les différentiels d’exigences vis-à-vis de ses concurrents s’estompent même s’il subsiste ici ou là, quelquefois dans nos propres entreprises, quelquefois dans l’administration, quelquefois dans le regard porté par nos clients, quelquefois dans des réseaux qui devraient être nos partenaires, encore de nombreux freins. J’en veux pour preuve le procès que vient de gagner Bretagne Ateliers vis-à-vis de l’AGEFIPH, véritable reconnaissance de la loi de 2005 et de notre position d’entreprise ordinaire.
Reconnaitre l’entreprise adaptée comme une entreprise ordinaire, c’est reconnaitre l’ensemble de ses salariés à leur juste valeur et surtout de les reconnaitre pour leurs compétences, pour leurs implications, pas plus, pas moins, pas mieux, pas moins bien, ni avec plus de droit, ni avec moins de droit que n’importe qu’elle autre salarié d’entreprise.
La loi de 2005 c’est aussi dans son article 114-1 une affirmation, je cite : « La personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap quels que soient l’origine et la nature de sa déficience, son âge ou son mode de vie » en précisant que « cette compensation consiste à répondre à ses besoins… nécessaires au plein exercice de sa citoyenneté et de sa capacité d’autonomie. »
Cette compensation, c’est ce qui fait que nous sommes ici, aujourd’hui, pour signer ce contrat très important voire historique, qui nous donne une visibilité essentielle pour ne pas dire vitale. Cette compensation c’est quelque chose de très pragmatique. Ne soyons pas naïfs ou idéalistes, c’est bel et bien cette compensation qui permet l’égalité. Aussi avec la compensation et les principes de la loi, il a bien fallu inventer du fait des principes de réalités budgétaires, la notion de contingentement.
Je reviendrai sur ce point, mais je voudrais revenir sur la notion que je citais juste avant celle de « capacité d’autonomie ».
La loi résume en une seule phrase la seule mission sociale de l’entreprise adaptée, je cite : « Grâce à l'accompagnement spécifique qu'ils leur proposent, ils favorisent la réalisation de leur projet professionnel en vue de la valorisation de leurs compétences, de leur promotion et de leur mobilité au sein de la structure elle-même ou vers d'autres entreprises. »
Que signifie « favoriser la réalisation de leur projet professionnel » ? Ce n’est pas faire à la place de la personne, ce n’est pas l’enfermer dans sa condition, ce n’est pas la faire évoluer contre sa volonté (socle de la définition de l’insertion), mais c’est tout simplement de l’accueillir telle qu’elle est, la libérer par sa seule initiative, en mettant à sa disposition tous les moyens possibles d'accroître ses facultés et sa capacitation.
Nous avons pu dans le contrat de développement qui va nous lier, introduire le terme de capacitation. Ce terme n’est pas un néologisme, il trouve son origine de l’anglais « empowerment » soit autonomisation, émancipation, responsabilisation. Nous pourrions résumer la capacitation comme la conjonction de l’autonomisation et de la responsabilisation.
Ce que nous apprécions dans le concept de capacitation est que sa mise en œuvre augmente la puissance d’agir des salariés en situation handicap et, en conséquence, l’entreprise adaptée participe au processus de capacitation en permettant à la personne en situation de handicap de prendre en charge, par elle-même, sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale. Autrement dit, d’augmenter sa puissance d’agir sur son être et sur son environnement. La mission sociale de l’Entreprise Adaptée, définie par la loi, est de mettre en œuvre un éco-système autour de ses salariés en situation de handicap pour favoriser la capacitation et donc favoriser la réalisation de son projet professionnel.
Le développement de la capacitation c’est comme le développement de l’emploi ça ne se décrète pas mais ça se travaille. C’est un travail de longue haleine dont seule la qualité permet d’obtenir des résultats. Les résultats se sont des salariés à part entière dont les choix de vie d’ordre professionnel vont être de rester dans leur entreprise parce qu’ils y ont trouvé un équilibre, de chercher à y progresser, d’évoluer avec leur environnement, de faire valoir leurs compétences dans d’autres entreprises pour y gagner plus et/ou y trouver un autre confort de vie pour de multiples raisons comme le rapprochement domicile travail ou encore bien d’autres choix personnels.
Sans transition, je reviens sur le besoin de compensation et le contingentement. L’entreprise adaptée a une chance formidable. Dans son étude, le cabinet KPMG, internationalement reconnu, a pu démontrer de manière incontestable le retour sur investissement positif et immédiat pour l’Etat et les collectivités locales. Ce n’est pas neutre. Cela signifie bel et bien que la compensation, absolument nécessaire pour l’égalité des chances, ne peut être réduite à une charge mais doit être considérée sous l’angle de l’investissement.
Aussi Madame la Ministre, Madame la Secrétaire d’Etat, à l’UNEA nous sommes des dirigeants d’entreprises, nous savons ce qu’investir veut dire, nous savons que pour investir il faut d’abord en avoir les moyens et puis qu’il faut parfois faire des choix dans ces investissements. Pour autant, nous sommes persuadés que le contingentement de la compensation n’a pas lieu d’être, d’abord parce que le retour sur investissement est immédiat, ensuite parce qu’il faut être réaliste sur notre capacité à nous développer qui reste limité à l’accroissement naturel des entreprises en France, avant 2005, en l’absence de contingentement, notre développement n’était pas supérieur à celui d’aujourd’hui…
Nous ne sommes pas seuls en Europe à partager ses préoccupations puisque, l’Allemagne vient d’investir dans un plan très ambitieux de trois ans pour un montant de 150 millions d’euros dans leurs entreprises adaptées, qu’elle appelle Entreprises Inclusives. L’Espagne, quant à elle, emploie entre deux et trois fois plus de salariés que nous. C’est pourquoi l’UNEA est à l’initiative de la toute future création de l’association européenne des entreprises inclusives : EUCIE. Nous avons d’ailleurs pu soulever la question de la libre circulation dans le cadre de l’emploi des personnes en situation de Handicap en Europe.
Pour conclure :
Je souhaiterais remercier les deux grandes entreprises européennes présentes ici, la Société Générale et Air Bus. Ces deux entreprises sont, à mon sens, des exemples à suivre. Pour développer l’emploi des personnes en situation de handicap dans leurs entreprises, elles ont avant tout cherché à comprendre l’accompagnement des personnes en situation de handicap au travers de notre exemple. Elles ont compris que le développement de la professionnalisation était au même titre que l’accessibilité un facteur clé de réussite.
Je souhaiterais rappeler que la loi de 2005 est l’unique force motrice du modèle entreprise adaptée et de la pleine citoyenneté des personnes en situation de handicap, et que l’UNEA restera toujours vigilant sur son application.
Je souhaiterais affirmer que le contrat de développement performant et responsable que nous allons signer est pour nous, dirigeants d’entreprises, un acte majeur permettant d’obtenir une visibilité dans notre développement. Nos engagements comme ceux de l’Etat y sont forts. Nous devons développer de l’emploi pour ceux qui en sont véritablement éloignés du fait de leurs situations de handicap, nous devons développer nos entreprises à l’image de n’importe quelle entreprise, performante, rentable, innovante, flexible à ces marchés, à ces clients. Nous le savons tous, il est facile de le dire, mais c’est un vrai défi de le faire. Plus que n’importe quelle entreprise, nous devons y développer l’accompagnement socio-professionnel, la professionnalisation, et la capacitation.
Je souhaiterais remercier tous les signataires du contrat de développement, les grandes associations bien sûr et plus particulièrement le SPE, Pôle Emploi, Cap Emploi, les missions locales parce qu’elles œuvrent au quotidien dans le même but que nous dans l’intérêt des personnes en situation de handicap.
Enfin, et en dernier lieu, je souhaiterais profiter voire abuser de cette tribune pour exprimer ma vision toute à fait personnelle de l’avenir de notre secteur, mon rêve en quelque sorte :
Je rêve que le taux de chômage des personnes handicapées s’aligne naturellement avec celui des personnes dites valides. Pas plus, pas moins de chômeurs. C’est ça l’égalité des chances, la non discrimination.
Je rêve que les entreprises adaptées deviennent la référence technique et d’expertise pour l’accompagnement socio-professionnel des personnes handicapées auprès de toutes les entreprises. Que l’entreprise adaptée soit une sorte de « laboratoire » de l’inclusion de la personne handicapée au sein d’entreprise tout à fait ordinaire, qu’elle serve d’exemple, de modèle, qu’elle s’ouvre pour montrer que c’est possible.
Je rêve d’un modèle d’entreprise adaptée plus inclusif avec certainement plus de personnes dites valides, avec certainement plus de mixité.
Je rêve d’un retour sur investissement pour l’Etat mesuré de manière instantanée lui permettant de réinvestir encore. Je rêve d’un dialogue de gestion responsable et partagé avec l’administration.
Je rêve d’un modèle entrepreneurial au cœur de l’Economie sociale et solidaire. Je rêve que les salariés handicapés puissent accéder (s’il le souhaite) à l’actionnariat, à la gouvernance de leur entreprise (il y a un modèle qui va bien pour cela ce n’est pas de l’utopie).
Merci